Ma rencontre avec Sylvain Émard, en 8 temps
Miron en plein Super Méga Continental de Sylvain Émard Danse
La compagnie de danse Sylvain Émard Danse célèbre cette année ses 35 ans d’existence. Pour l’occasion, je me permets de sortir du chant choral pour y aller de mon propre témoignage sur ma rencontre avec le magnifique chorégraphe de danse moderne montréalais. Oui, oui, avant de chanter, je dansais, ne vous en déplaise ;)
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Que mon chemin puisse un jour croiser celui de Sylvain Émard semblait fort improbable. Que moi, balourd bipède doté de 7 jambes et 5 épaules – du moins, quand je danse –, puisse se targuer d’avoir dansé quelques-uns de ses Grands Continentals relevait carrément d’une fabulation totalement insane.
Pourtant c’est arrivé.
Et cette rencontre a totalement changé ma vie. Comme celle de centaines et de centaines de personnes à travers le monde, je suis sûr.
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Le tout avait débuté lors d’un agréable souper en compagnie de Lyne qui, je l’ignorais alors, siégeait sur le conseil d’administration de Sylvain Émard Danse. Pendant le repas, elle me parle d’un certain Grand continental, et d’un non moins grand Sylvain Émard.
« Pizza (elle m’appelle ainsi depuis toujours, longue histoire…), tu devrais le faire. C’est l’fun. Pi c’est pour une levée de fonds. » Fine stratège (elle est avocate), elle me parle d’un joyeux mélange de danse en ligne et de danse moderne, tout en s’assurant que ma coupe de vin demeure pleine. À un point de la conversation, Bacchus s’en mêle, moi je m’emmêle et je lance mes famous last words : « Je vais t’faire ça, ma Lyne! Quand j’étais p’tit, j’ai pris des cours de danse sociale avec ma cousine France. J’ai fait un peu de tango avec ma douce. Fa que why not coconut? »
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Flash forward. Première répétition d’un petit Grand Continental avec juste 150 danseuses et danseurs… La chose qui me frappe, la crowd. Totalement bigarrée. Des vieux, des ados, des gros, des fluettes, pi moi. Une inclusivité totale, des années avant que le terme devienne à la mode. Puis arrive discrètement un monsieur à lunettes. C’est Sylvain.
Dans ma tête d’ignare de la chose dansée, un chorégraphe moderne, ça mesure 9 pieds de haut avec les jambes et les bras à n’en plus finir. Ça parle avec un accent précieux, longue écharpe de soie au cou et ça l’a le menton levé en permanence au point où les narines font office d’yeux.
Rien de tout ça avec Sylvain.
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Je découvre un homme simple, accessible, d’allure accueillante, un peu timide. En jeans et en baskets comfy. Cheveux courts grisonnants, toupet sur le côté. Et son arme de séduction massive, un p’tit mozusse de sourire en coin qui peut déplacer des montagnes.
Avec les 8 pros qui l’accompagnent, ils nous font une démonstration de ce que l’on va devoir apprendre en quelques séances.
Phoque.
Maudit Chablis… dans quoi m’étais-je embarqué?
À mes yeux, chaque temps de chaque mouvement de cette chorégraphie est bourré d’une trâlée de gestes disparates. Et comme si c’était pas assez, monsieur le chorégraphe – dont la mission de vie semble d’être de combler les vides – remplit joyeusement les « et » des temps d’autres trémoussements artistiques.
Et évidemment, jamais les mêmes.
Une chance que je ne suis pas arrivé en bottes de cowbow.
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Mais le miracle fut.
Par ses conseils éclairés, par sa bienveillance constante, et par sa patience angélique, Sylvain arrive à ses fins. Son plaisir évident est dangereusement contagieux. Et je me retrouve à entrer dans la danse, sans trop m’en rendre compte. Et éventuellement dans le monde de Sylvain.
Je ferai ce Grand continental, puis un second. Un très très gros. Sans compter plusieurs levées de fonds, quelques flashmobs et autres projets spéciaux. J’étais rendu accro, pas autant de la danse, mais de Sylvain, de son talent, de sa douce folie gestuelle et de sa fabuleuse capacité à rassembler des gens de toute provenance autour de ses fantaisies linéaires.
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Confidence. Avant de croiser Sylvain, je ne comprenais absolument rien à la danse moderne. J’accompagnais parfois sans trop râler ma chérie pour aller voir des spectacles.. Assis, je regardais ces corps se convulser sur la scène, priant le bon dieu pour qu’il y ait un médecin dans la salle pour prêter main-forte à ces jeunes personnes en pleine crise d’épilepsie communautaire.
Rien. Je comprenais rien. Je trouvais ça plutôt beau, mais je demeurais perplexe.
Mon contact avec Sylvain a changé la donne. Bon, pas sûr que je comprenne ben ben plus. Mais en même temps, oui. À force d’écouter Sylvain, à force de le voir nous préciser sa gestuelle, à force de le voir sourire à nous voir aller et de s’émerveiller devant cette grande diversité d’interprétation, en fonction de nos expériences, de nos corps et de nos capacités, j’ai flashé.
On est des color organs.
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Comme ces lumières qu’on ploguait dans nos systèmes de son quand j’étais jeune et qui scintillaient de mille couleurs au gré des rythmes et des fréquences. On est des color organs qui bougent et Sylvain, c’est le filtre par où diffuse notre lumière musicale. Il orchestre le son à travers nos corps qui, combinés, font rayonner au grand jour le plaisir contagieux de cette éclectique et électrique danse en ligne nouveau genre.
Pas une fois parmi toutes celles où j’ai eu le plaisir et l’honneur de danser du Sylvain Émard (qui aurait cru qu’un jour je dirais ça …) où j’ai vu une personne dans l’audience, et même parmi les danseurs, sans un gros sourire dans face.
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Sensei (je l’appelle ainsi, même si ça le gosse un peu) a changé ma vie.
À l’époque, j’ignorais que j’étais asperger. Alors moi et les activités de groupe avec plein d’monde, plein d’bruits, plein de stimulis…
Mais avec Sylvain, je pouvais frayer avec 375 personnes sans que ça m’use trop. Car 375 personnes qui swingent aux mêmes gestes, en même temps, ça devient une seule entité. Et dans cette organisation corporelle à grande échelle réside un bonheur immense. Une satisfaction personnelle, un dépassement de soi et un tabarouette de gros fun à se voir aller ensemble. Rien de parfait, mais au fond, c’est cette imperfection très humaine qui rend la chose si belle. Allez voir cet extrait vidéo du Super Méga Continental, vous comprendrez.
Aujourd’hui, avec des genoux et des hanches scrap, ma carrière Miron de danseur est bel et bien terminée ;) Mais cette expérience de groupe unique m’a éventuellement tourné vers le chant choral où là aussi, les choristes deviennent une seule et grande voix. Et parfois, juste pour le plaisir de me souvenir, je compte en huit mes tounes en 4/4. Et juste pour le défi, j’ajoute tout plein de « et » entre chaque temps.
Les « et » de Sylvain expriment très bien l’homme. Ils appellent à l’inclusion. Ils démontrent que tout est relié. Qu’entre chaque moment de la vie, il existe tout plein de petites fentes pour laisser passer le bonheur.
Les « et » de Sylvain appellent à la curiosité et nous invitent à la découverte de la suite des choses. Ils nous rappellent que rien n’est une fin en soi, et qu’au bout de nous-mêmes, il y a un toujours un nouveau soi qui ne demande qu’à briller au grand jour.
Sylvain Émard a été un très grand « et » dans ma petite vie d’aspie.
Joyeux 35e, sensei! Je te et nous souhaite tout plein de « et ».