L’art d’apprendre à apprendre en mode extreme choriste - vocalises.ca

L’art d’apprendre à apprendre une pièce chorale en mode extrême

Comme pas mal tous le monde, la pandémie m’a coupé le sifflet… ou plutôt les répétitions chorales. Alors que comme vous, j’entamais le dernier stretch du programme des deux chœurs où je chantais, je me suis retrouvé en confinement, muet, coi, silencieux, atone. Mais curieusement, ce silence forcé a fait de moi un meilleur choriste. Après l’isolement s’en est suivi une avidité boulimique pour le chant. Un après l’autre, j’ai plongé dans des projets potentiellement casse-gueules (pour moi), en marge des répétitions avec mes chœurs. Voir ces défis ici.

Ayant peu de temps pour apprendre chaque nouvelle pièce chorale, ça m’a forcé à apprendre… à apprendre, autrement. Plus vite. Mieux. Je me suis trouvé des trucs, plusieurs provenant de mes gentils chefs. Probable que vous les connaissez, mais à tout hasard, je dépose les miens ici. Si vous en avez d’autres, vous pouvez les inscrire en commentaire au post associé à ce billet au facebook.com/vocalises.ca.

18 trucs pour mieux s’attaquer à une pièce chorale

1. Imbibez-vous de l’œuvre

Avant même d’affronter une pièce, je l’écoute. En boucle. Toutes les voix. J’essaie d’en saisir le sens musical. L’émotion. La vibe. J’essaie de la sentir. De la ressentir.

 

2. Trouvez votre voix

Écoutez à nouveau la pièce, mais maintenant, tentez de repérer votre ligne. Zoomez in vos oreilles pour distinguer votre ligne d’alto ou de ténor du reste. Remarquez la valse ou le match de ping-pong entre les autres voix et la vôtre.

 

3. Remarquez votre musique

Qu’est-ce qu’apporte votre ligne au rendu musical total? Outre les liens avec les autres voix, tentez de repérer le dialogue de votre ligne avec les instruments.

 

4. Préparez votre partition

Avant même de m’attaquer à une pièce, j’aime préparer ma partition pour en faire ressortir les éléments principaux. Je travaille à la tablette (ForScore les amis, essayez ça), je peux donc coder, colorier, raturer, annoter, highlighter sans crainte; au besoin, je pourrai effacer ou ajuster. Au début, par orgueil, je m’efforçais de laisser ma partition le plus clean possible. Après tout, tout est déjà indiqué. Pourquoi aller beurrer ça. Parce que ça aide! Énormément. Tsé quand une toune part, que le tempo est rapide. Que les lignes des voix s’entremêlent. Que le texte est en allemand. Pas le temps de niaiser. Depuis que je marque mes partitions, je suis meilleur. Par ailleurs, juste le fait de me donner le temps de préparer ma partition avant même de m’y attaquer me permet de la décortiquer. De m’y familiariser.

Typiquement :

  1. a) Je fais ressortir ma ligne du lot. Je me mets une espèce de parenthèse au début et à la fin de ma ligne dans chaque système. Je surligne avec un ti jaune pâle mon texte. b) Je fais ressortir les nuances. Comme ForScore vient avec les principaux signes musicaux (qu’on peut à notre guise agrandir, rapetisser et changer la couleur), je mets en rouge tous mes ff, f, mp et autres ppp. Idem pour les points d’orgue pertinents. Je surligne en jaune les crescendo, decrescendo et autres marcados.
  2. c) Je me rappelle de respirer! Bon, mettez ça sur le fait que je suis blond, mais je chante beaucoup mieux depuis que je surligne en orange fluo les silences précédents mes entrées afin de me rappeler de faire le plein d’air tusuite, et non pas une fois rendu sur ma note.
  3. d) Je décortique le texte. Avant même d’écouter ma trame, je me mets des petites lignes rouges, là où il y a des virgules ou là où je pense qu’on veut faire une pause. Je marque les endroits où je pense que je vais pouvoir me prendre une tite pof d’air entre deux lignes bien serrées. Je marque au feutre rose pâle les syllabes qui s’étirent sur plusieurs notes et j’en profite pour faire le ménage des consonnes pour laisser toute la place à mes voyelles : je biffe la consonne tentante (ou carrément l’efface) et je vais l’inscrire au début du prochain segment. Dans le cas où il y a des voyelles qui pourraient sonner différemment, j’indique le son voulu sur celles qui m’apparaissent dangereuses.
  4. e) Je marque mes sorties de consonne. Mon « t » va sur le silence suivant? Je me fais une tite ligne rouge pour me rappeler que c’est là que ça se passe.
  5. f) J’élimine le bruit. Comme je suis basse, je passe systématiquement au liquid paper virtuel le texte des ténors (sauf là où j’ai besoin de voir un mot qui me sert de cue à mon entrée, par exemple. Je vais aussi éliminer les notes d’instruments au-dessus de la ligne instrumentale sous ma ligne. Honnêtement, quand je chante le Requiem de Mozart, je n’ai aucun besoin de savoir quel instrument joue quelle note. Hop, liquid paper.
  6. g) Sneak preview du tourne page. Si la ligne entamée au bas de la page se continue allègrement à la page suivante, je me fais un ti signe pour m’indiquer si ça monte ou ça descend. Au besoin, j’indique la note, mais par expérience, pas un bon endroit pour écrire un mot. Ça dérange. Si j’ai besoin de respirer pour affronter ce qui suit, je me l’indique. Si j’ai besoin d’une grosse pof d’air, je me fais un gros signe. Si le danger m’attend de l’autre côté, je me mets des points d’exclamation en rouge.
  7. h) Je m’indique les notes. Ça l’air drôle, mais comme la clé de fa demeure un petit défi de lecture pour moi (jeune, je m’étais donné comme truc de comparer les notes de la clé de fa à celle de la clé de sol, sans tenir compte de la hauteur respective. Ainsi, avant de voir un do dans ma portée de basse, je vois un la et j’ajoute un « ton ». Résultat, je me retrouve souvent à faire ce calcul mental inutile. Ça va quand ça roule pépère à la noire, mais dans une giclée de vocalises à la Händel, j’inscris au-dessus de chaque note sa valeur en lettres (dans mes cours d’orgue, on m’a appris à parler à C-D-E-F-G-A-B…). J’en profiterai aussi pour écrire la lettre plus haut ou plus bas par rapport à celle qui la précède et lui succède. Éventuellement, une fois la phrase musicale maitrisée, j’effacerai mes C-G-Ab-Bb pour épurer ma partition, mais en apprentissage, c’est pour moi un raccourci précieux.

5. Je révise la partition avec la trame ou un enregistrement

Une fois l’exercice précédent effectué, là j’écoute la toune. Même si je vais la marmonner, je me sers surtout de cette étape pour valider les pauses, les fins de mots, la prononciation, etc. Je sais bien qu’une fois devant le chef tout sera à retravailler, mais cette étape me permet de continuer ma plongée dans l’œuvre à maitriser en peu de temps.

 

6. Quand ça va trop vite, je ralentis puis j’accélère

Je vais reprendre mon exemple de vocalises à la Händel. Même avec des trames, même des trames ralenties, parfois ça va encore trop vite. Premier réflexe, je vais aller voir du côté de choralia.net si l’œuvre y est. L’outil permet de paramétrer le output (genre, basse à droite, les autres à gauche, basse à 70 %, les autres à 30 %, etc.), mais aussi la vitesse. Je me pars donc ça à 60 % puis au fur et à mesure que je deviens plus solide, j’accélère. Je n’arrête pas à 10 %, je continue plus vite. Quant tu es capable d’enfiler toutes tes notes à 130 %, le 100 % qui te semblait si rapide de prime abord devient une petite balade famiale en vélo vers le Dairy Queen un dimanche après-midi. de plus, choralia permet d’isoler le segment ardu. Il jouera en boucle la portion de 1:25 à 1:57 jusqu’à ce qu’on l’est pognée (ou qu’on n’est plus capable d’entendre la mauzzusse de voix électronique). D’autres outils similaires existent (cyberbass par exemple).

 

7. Un bout à la fois

Si ça marche en jours pour les AA, ce précepte est idéal pour l’apprentissage de tout bout corsé où ça se précipite. 8 portées bien remplies de vocalises à vous enfiler? Sortez votre piano, jouez les 6 premières notes (ça peut être 4, ça peut être 12, c’est selon vous et la pièce) puis chantez-les jusqu’à les savoir par cœur. Laissez faire les nuances, l’idée ici est de vous programmer ça dans le cerveau. Une fois les 6 premières maitrisées, on en ajoute 6 autres, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on se retrouve au bout du monstre, terrassée.

 

8. J’ai mon crayon en main all the time

Peut-être juste au concert que je vais me garder une petite gêne, et encore, mais j’ai toujours mon crayon en main. Pendant que je pratique, je me rends compte en chantant que j’ai tendance à chanter une noire là où il y a une blanche? Hop, un ti cercle rouge sur le piège. Je me rends compte que je n’ai plus d’air rendu à un segment? Je m’ajoute une respiration dans le segment, n’importe où si le chef n’a pas indiqué une pause air à cet endroit.

 

9. J’ajuste mes notes

Je ne parle pas ici des notes musicales, mais des notes dans ma partition. Apprendre une œuvre, c’est un processus organique. Au fur et à mesure que je la maitrise, j’efface mes barbouillages, mes graffitis, mon festival sur surligneur fluo. Je ne conserve que l’essentiel. Ça me permet d’ajouter de nouvelles notes qui sont plus souvent associées aux nuances désirées par le chef en cours de route. Ou bien de rassembler une série de notes sous une même lancée quand j’y vois une logique narrative musicale pour ma propre ligne, indépendamment des annotations du compositeur ou du chef.

 

10. Je m’enregistre

Clisse que je déteste m’entendre. Mais mauzusse que cette distance est payante pour noter mes petits tics, travers, et autres omissions qui peuvent passer inaperçues quand y a pas l’oreille affutée d’un chef pour te ramener à l’ordre.

 

11. Je crée mes trames

Quand y a pas de trames et que l’œuvre ne se retrouve pas sur choralia et al, je créé mes propres trames. Il existe des applications de type PlayScore 2 qui « lisent » les versions pdf des partitions. On peut isoler sa ligne ou la faire jouer plus fort que les autres pour la mettre en contexte. En général, ça marche pas pire, mais la qualité du pdf entre en jeu. Si la version est floue, ForScore omettra des bouts. Même avec une copie parfaite, il y a des glitchs, mais si ça aide à débrousailler 90 % d’une pièce, c’est déjà ça de pris. Dans les cas de mauvaises copies, il m’est arrivé de retranscrire ma ligne dans MuseScore, un logiciel de composition musicale. Bon, tu fais pas ça avec le requiem de Verdi au complet, mais comme on peut faire jouer ce que l’on écrit, ben pratique pour isoler les segments corsés. Troisième option, il m’est arrivé aussi de m’enregistrer pianotant pas vite un bout corsé, juste pour enfiler les bonnes notes.

 

12. Je chante en marchant

Les gens du quartier doivent me trouver un peu étrange, mais chaque jour au lunch, je vais prendre ma petite marche musicale. Boses antison ambiant aux oreilles (mon meilleur achat ever!), je me fais jouer la trame de la toune que je dois pratiquer dans les oreilles, et je la susurre. Bon, des fois, à la face que me font les autres piétons, je pense que je fais plus que susurrer, mais je me dis que c’est pas pire (et possiblement plus joli) que ceux qui parlent au téléphone en mode mains libres. Comme j’ai la chance d’habiter près du lac Saint-Louis, je me suis trouvé un spot où je peux faire des récitals privés, juste pour les canards et les crapets-soleils.

 

13. Je m’endors en musique

Plutôt que de me planter devant la télé pour regarder une série poche sur Netflix, je m’installe au lit. Je révise quelques pièces tablette et crayon à la main, puis lumière éteinte, je me fais jouer les pièces du moment les yeux fermés, Nagano blotti tout ronronnant dans mes bras et je me fais une petite séance d’écoute d’une heure, au moins. Génial pour se préparer à une bonne nuit de sommeil, et j’ai comme hypothèse que le cerveau continue l’apprentissage au cours de la nuit, mais bon. À me voir moffer certains bouts en pratique, ça ne doit pas être vrai.

 

14. Je planifie mon apprentissage

Comme on a généralement un aperçu de ce qui s’en vient dans les prochaines répétitions, je trouve payant le fait d’étaler mon apprentissage dans le temps. Ainsi, plutôt que de juste me concentrer sur la pièce à apprendre pour la semaine prochaine, je vais inclure dans mon plan d’apprentissages les autres pièces à venir. Alors que je chanterai plus activement celles à apprendre bientôt, je vais commencer à écouter les prochaines. À annoter leurs partitions. Dans mon cas, on dirait que ça me permet de m’imbiber des pièces à venir et je remarque que lorsque je les attaque plus sérieusement, on dirait que je les connais déjà.

 

15. C’est correct de ne pas être prêt en répétitions

Je sens déjà le regard des chefs me fulgurer, mais alors que je jonglais avec l’apprentissage de trois concerte en même temps, il m’est arrivé de me pointer à une répétition pas totalement préparé. Ma logique? Il sera toujours plus bénéfique d’être physiquement présent à une répétition même si on n’est pas préparé que de la rater. Ça permet d’entendre les indications du chef, d’entendre chanter ses collègues de pupitre et de les accompagner à voix basse pour marquer sa ligne. Si je n’avais pas procédé ainsi, je n’aurais jamais pu apprendre le Gloria de Rutter, la Cantate pour une joie dans le peu de temps qui m’était imparti. Idem pour plusieurs pièces des récitals-examen mentionnés plus haut.

 

(MÀJ 10 septembre)

En voici déjà d’autres.

16. Je me concentre là où ça fait mal

Quand je prenais mes cours d’orgue, je faisais ça. Un bout plus difficile à exécuter? Allez, hop! On se concentre dessus. On le répète ad nauseam, jusqu’à ce que les doigts le fassent machinalement. Une fois la mécanique acquise, on y ajoute des nuances. J’avais comme oublié ce truc lorsque j’ai commencé en chant choral. Mais l’an dernier, cheffe Caroline l’a partagé aux choristes et je m’en suis rappelé. Ce truc m’est particulièrement utile ces jours-ci, alors que je m’attaque à certaines vocalises effrénées de her Handel dans son Messie. J’me pianote la phrase jusqu’à la savoir au bout des doigts. Je l’enregistre (mon piano a cette fonction!). Puis chaque fois que j’y pense, j’appuie sur play et hop la rengaine!. En quelques jours, elles deviennent acquises.

 

17. Je pianote dans ma tête

Parlant de piano, voici un autre truc. Possible qu’il ne soit utile que pour ceux qui jouent du clavier, mais je pense que ma logique de air piano tient la route pour tout le monde. Quand j’apprends une pièce chorale, et même quand je la chante, je pianote l’air… dans les airs. Si ça monte, je monte. Si ça descend, je descend. Pas besoin de jouer les bonnes notes. Juste les montées et les descentes. Possible que le fait d’ajouter ce geste physique à l’apprentissage aide le cerveau à downloader ma ligne plus facilement.

 

18. J’attaque la pièce par des bouts différents

Le petit (ou le grand) frère du truc 16. Un autre réflexe qu’on a lorsqu’on pratique une pièce chorale, c’est de toujours la pratiquer du début à la fin. Comme un vieux réflexe acquis qui veut qu’on mange l’entrée avant le mets principal et le dessert. je n’y pense pas tout le temps, mais un de mes chefs m’a remis ce truc en tête jeudi dernier. L’idée ici est qu’on n’est pas en mode livraison, mais en mode acquisition. Faut être autant familier avec le dernier mouvement qu’avec les autres.

 

19. Je chante avec un autre pupitre

Par erreur, j’ai téléchargé la trame d’une pièce avec la ligne des altos en avant plan, plutôt que celle des basses. Trop paresseux pour aller chercher la bonne, je travaille plutôt sur celle-ci, en allant chercher à l’arrière-plan ma ligne, tout en prenant conscience du travail alto/basse. Très intéressant. Et à ma grande surprise jeudi dernier, chef a suggéré ce truc aux choristes. Bon, probablement pas une idée quand on s’attaque è une pièce chorale, mais une fois qu’on l’a solidifié, c’est une belle façon de l’aborder autrement. Note à moi-même, faire souvent cette erreur!

Bon, voilà. Ce sont les quelques trucs auxquels je pense. Si je pense à d’autres, ou si vous m’en partagez, je les ajouterai ici.

Bonnes pratiques!