L’autre jour sur LinkedIn, Margot, une jeune étudiante en 4ème à l’EFAP, école de communication parisienne m’a demandé de l’éclairer à propos d’un point important en pub :  qu’est-ce qu’une pub originale.

Je la cite : « J’ai lu un article en ligne dont vous faites parti sur GRENIER, datant de 2016. Il parlait de l’importance des prix en publicité. Je me permets de vous contacter pour vous demander votre accord pour répondre à quelques question sur la thématique de l’originalité en publicité ceci afin de finaliser mon rapport de stage. »

S’en suivait une liste de questions et auxquelles j’ai répondu à vif, sans plus pousser la réflexion qu’il faut.  Je dépose donc le tout ici, en espérant que cela puisse, à défaut d’inspirer, éclairer d’autres personnes à la recherche de LA solution à cette question aussi vieille que la pub elle-même. Hésitez pas à m’écrire si vous voulez en jaser!

 

Q1 Léo Burnett, grand publicitaire New-Yorkais a révélé : « Le secret d’une originalité efficace en publicité, ce n’est pas la création d’images ou de mots nouveaux et astucieux, mais l’identification de nouvelles relations entre des images et des mots familiers ». Quel serait pour vous, le secret de l’originalité publicitaire ?

R1 L’originalité n’est pas, directement du moins, un critère si important en matière de création publicitaire. Comme le suggère l’ami Léo, c’est le choc d’idées convenues, d’images de tous les jours, mais éclairés sous un autre angle qui crée l’étincelle créative. Quelqu’un avait écrit, je ne me souviens plus trop qui, depuis la roue, l’homo modernus n’avait à toutes fins utiles rien inventer de nouveau.

Bon, c’est peut-être poussé un peu loin, mais ça illustre bien toute l’ingénuité humaine, tant en création publicitaire que dans plusieurs autres domaines, notamment la médecine.   Créer du nouveau avec du connu.

Et vous savez quoi ? Le nouveau se terre généralement tout près de la ligne — fine — du connu. À preuve, les meilleures idées, celles que jalousent tous les créatifs de la terre, sont souvent d’une telle évidence que c’en est décourageant de simplicité.

 

Q2 Quelle est la dernière publicité qui a réussi à vous marquer et pourquoi ?

R2 Impossible de répondre. Toi, quelle est la pub qui te marque ?

 

Q3 Comment avoir confiance entre les différentes agences de publicité ?

R3 Si tu remarques, je présume que c’est pareil en France comme ici et aux US, les agences jouent de nos jours la carte du partenariat, du partage et du travail en équipe, alors que voilà pas si longtemps, tout allait du côté de la créativité, ou pour les agences moins créatives, les pseudos résultats.

Je pense que les agences ont trop longtemps surfé sur leur propre nombril, oubliant dans l’équation, l’importance fondamentale du input client. En parallèle, les clients ont utilisé trop longtemps leurs agences comme de simples fournisseurs. En blague, on disait souvent que l’input de l’épouse du président côté client était plus important que celui d’un DC expérimenté.

La confiance agence/client, ça se bâtit de la même façon que la confiance femme/homme dans un couple. Ou celle avec un collègue, une amie, un médecin. Les attentes doivent être très bien dévoilées en amont, et surtout, entérinées et respectées par les deux parties.

Le client paie l’agence pour le faire aller plus loin, mais le résultat est tributaire des deux parties. Règle de pouce (comme disent les Américains), plus la pub est mauvaise, plus l’agence ET le client le sont eux aussi.

 

Q4 Une publicité est considérée comme une œuvre de l’esprit, selon le site internet MARKETING. Où est la limite entre s’inspirer et copier ? Notamment avec le développement du storytelling en publicité…

R4 Pas sûr de bien saisir cette question. J’y vois trois points pas forcément reliés. Décortiquons…

Oeuvre de l’esprit : blablabla. Une pub, c’est une question d’huile de coude, de travail, de sueur, de trac, de what if ? En pub, la cervelle est un muscle et le cœur, l’âme.

Inspirer vs copier : si c’est pareil, c’est du vil plagiat (tu connais Joe la Pompe ?) Si ça l’amène la pub plus loin, malgré le sentier débroussaillé par l’idée ou les idées « originale(s) », c’est de la sublimation. Suffit de voir comment on se sent. Si on a un petit malaise, c’est de la copie, même si déguisé. Si on fait wow, c’est quelque chose de nouveau (ou quelque chose de copier qu’on n’avait pas encore vu).

storytelling: le storytelling n’est pas nouveau en pub. Il en fait partie intrinsèque depuis ses tout débuts. Un publicitaire a juste eu le flair un jour d’utiliser cette expression anglaise pour nommer une évidence, et du coup tenter d’ajouter de la plus-value à quelque chose qui allait déjà de soi. Ironiquement toutefois, je considère que la qualité créative des pubs a diminué depuis que l’on parle de storytelling. Ou plutôt, qu’on tente d’associer des pubs poches (mauvaises en québécois) à des pubs créatives, grâce à (ou plutôt à cause de) ce nouveau buzzword.

 

Q5 « Nous voulons que les consommateurs disent “c’est un super produit” plutôt que “c’est une super pub”, Léo Burnett. La trop grande importance de l’originalité ne commencerait-elle pas à cacher l’intérêt du produit derrière ?

R5 Léo était un très grand vendeur. De même que David Ogilvy et tous les autres. Convaincu toutefois qu’il ne croyait pas ce qu’il disait ;) Opposer le produit à la pub, c’est remettre en question l’importance des deux éléments dans le mix-marketing. Jamais vu une bonne pub mettant de l’avant un piètre produit. Dans le même ordre d’idée, jamais vu une mauvaise pub avec un bon produit.

Ceci étant dit, oui. Plusieurs agences ne visent qu’à gagner des prix sur le dos des marques. Mais ces dernières n’en souffrent pas trop, car règle générale, une bonne pub vend. Si elle ne vend pas, elle n’est pas une bonne pub, aussi “créative” soit-elle. Comme j’ai souvent dit à mes équipes de création, c’est la différence fondamentale entre la création publicitaire et la création pure. La première doit répondre à des besoins marketing alors que la seconde n’implique ultimement que l’artiste.

 

Q6 Votre personnalité et références culturelles impactent-elles votre originalité professionnelle ?

R6 Ouons (un mix de oui et de non). De fait, inévitablement, la culture est intrinsèquement reliée au produit publicitaire. En reflétant la société dans laquelle elle évolue, la pub nous permet d’être significativement pertinent pour la cible que l’on vise. Suffit de visionner les pubs d’autres pays à Cannes pour s’en rendre compte. Des pubs laotiennes nous sembleront a priori très ordinaire, mais remises dans leur contexte socioculturel, elles peuvent être immensément créatives pour ce public donné.

C’est pourquoi les bons concours publicitaires se dotent d’un jury cosmopolite, permettant ainsi aux créatifs d’un pays d’expliquer une pub aux jurés d’autres pays.

Éliminer toute référence culturelle est impossible. Même pour les pubs dites internationales. Nike produit des pubs qui seront diffusées à travers le monde. Mais généralement, le tissu socioculturel qui sous-tient la narration publicitaire s’inscrit dans un cadre culturel spécifique, même si plus large (ie. une pub internationale va toujours goûter un peu les USA).

Côté personnalité, moins. Oui, on peut être de tel ou tel type de personnalité, mais ultimement, si on est un bon créatif, on comptera plutôt sur notre empathie et notre compréhension de la cible et de ses enjeux. Bien qu’étant fortement baraqué, barbu et avec une grosse voix grave, j’ai assuré la direction de création de marques de parfum, de serviettes hygiéniques, de voitures perfomance, de bières, de tisane, de voyages et de cancer colorectal.

Le bon créatif, c’est celui qui sait trouver le chainon manquant entre un produit, une marque et le consommateur (celui qu’on oublie malheureusement trop souvent dans l’équation).

 

Q7 Le phénomène croissant du réseau social TIKTOK nourrit l’intérêt de nombreuses marques pour développer leur plus jeune clientèle. Est-ce pour vous un réseau social prometteur ou risque-t-il de créer un décalage avec l’image de la marque ?

R8 La pub est avide de jeunesse. C’est pourquoi dès ses débuts, elle a délaissé les journaux pour la radio. Puis les magazines, l’affichage et la télé. Le ouèbe simplement a ouvert un nouveau territoire de jeux. Toutefois, ce territoire a comme différence fondamentale que la pub se retrouve chez le consommateur plutôt que sur une propriété payante (aka média traditionnel). Oui, une pub Facebook est une pub. Mais elle se retrouve sur MON fil d’actualité. Ou bien, elle est intégrée dans MON vidéo YouTube.

TikTok et les autres Instagrams ne sont pas autant une menace pour l’image de marque qu’une menace pour la mise en marché elle-même. C’est en tentant de répliquer des modus operandi traditionnels sur ces nouvelles plateformes que le publicitaire affecte l’image de marque, tout en se mettant à dos l’usager de ces plateformes.

Le phénomène des influenceurs est très intéressant quant à son impact sur la communication marketing. Plutôt que de “pousser” un même signal, un même message sur différentes plateformes, le marketer s’en remet à l’influenceur pour parler de son produit dans ses propres mots, avec sa propre créativité. Mais sachant qu’au final, il ne s’agit que de rejoindre une cible (les fans de cet influenceur) en profitant de la verve ou de la popularité de cette personne.

Je pense que cette façon de faire est à la fois saine et dangereuse. Saine, parce qu’elle nous a permis de nous libérer du joug de l’idée maitresse, celle que l’on répliquait sur tous les médias possibles. Cela avait du sens en 1980, moins en 2021 alors que le paysage médiatique a explosé. Dangereuse parce qu’on fragilise ainsi l’image de la marque en laissant carte blanche à l’influenceur.

Ceux qui tirent bien leur épingle du jeu, ce sont eux qui travaillent en équipe, un peu comme je l’évoquais plus haut en parlant de la collaboration client/agence.

Maintenant, c’est client/agence/influenceur. Ou tout juste client/influenceur, ce qui nous amène à nous questionner sur l’impact de la fragmentation des services de comm pour un client. Avant, il avait son agence de pub, et celle-ci faisait tout. Maintenant, le client se retrouve avec sa boite de pub, une autre de promotion, suivie de l’événementiel, du média, des relations publiques, des médias sociaux, du eCommerce, etc.

Probablement une autre raison pour laquelle s’effrite et s’étiole la qualité du signal publicitaire. On en fait plus, avec plus de joueurs, mais avec moins de ressources financières.

 

Q8 En quoi le Covid a-t-il impacté la création publicitaire et son développement pour vous ?

R7 C’est surtout le film publicitaire qui a été impacté, because le confinement. Au Québec, la première pub à être réalisée pendant la Covid a été tournée directement chez la comédienne. Son conjoint étant directeur photo, c’est lui qui tenait la caméra, tout en faisant de la figuration avec leurs enfants. Le réalisateur communiquait avec ces personnes via téléphone, zoom, ou whatever.

Mon dernier article écrit pour le Grenier présentait les meilleures pubs internationales de Noël. Comme je le mentionnais, on sentait très bien les limitations physiques par l’utilisation de l’animation ou par des histoires mettant en scène peu de comédiens ou par l’utilisation de piétage d’archives.

Autre impact quelque part négatif de la Covid, même si les marques l’ont fait pour bien faire — > le même message qui se répète dans l’ensemble des pubs (ie. ensemble, ça va bien aller, on est là, etc.), avec du piétage stock. Je sais pas pour toi, mais moi de voir en rafale toutes ces pubs qui disent la même chose, ça m’a plus donné le cafard que remonter le moral :)

 

Q9 Le meilleur prix d’une bonne originalité publicitaire est-il desservi par une récompense ou par le bon accueil du grand public ?

R9 Je dirais par l’impact positif qu’elle a eu sur la problématique d’affaires. Le créatif voudrait toucher l’or, c’est naturel. Mais il ne s’agit pas là du but premier de la pub. Le bon accueil du grand public, c’est une donnée plutôt vague, surtout en cette ère numérique où tous un chacun partage son opinion sur les plateformes sociales. Oui, des sondages ou des groupes de discussion permettent d’identifier les vecteurs positifs de la pub, mais au final, on fait de la pub pour vendre.

Viser l’excellence en matière d’originalité et de créativité n’est qu’un chemin pour y arriver. Mais il existe une montagne de publicités mornes, prévisibles, bavardes qui arrivent à atteindre le même objectif.

 

Q10 Quelle est la création originale dont vous êtes le plus fier dans votre carrière ?

R10 J’aime tous mes bébés de la même façon ;)