Soirée-bénéfice 20 ans / en répétition partie 6 from Sylvain Émard Danse on Vimeo.

Depuis deux jours, je tente de réapprendre à marcher. Un pied devant l’autre. Tout bonnement. Comme on le fait tous les jours, sans s’en rendre compte, sans y penser. Et je ne suis pas seul. Depuis deux jours, nous sommes trente-deux personnes qui devons réapprendre à marcher, chacune dans notre direction. Trente-deux personnes qui nous surprenons à regarder subrepticement du coin de l’oeil les autres piétons déambulant sur le trottoir pour valider si notre cadence et direction est conforme à celle d’un groupe qui au fond n’en est pas un. Trente-deux personnes dont le coeur bat désormais à 8 temps dans cet amas de pas anonymes qui sans chef d’orchestre ne rythme décidément à rien.

Faire jaillir un gros éclat de bonheur collectif d’un groupe improbable, c’est le précieux talent d’alchimiste des corps que possède Sylvain Émard, chorégraphe de renommée internationale et créateur du Grand Continental, une danse en ligne extrême qui rend accro à la vie tous ceux et celles qui y tâtent l’orteil.

Lundi soir, nous sommes devenus trente-deux personnes marquées à jamais par la rencontre et la générosité d’un grand artiste qui sous le prétexte d’une pseudo-banale danse en ligne nous a fait découvrir – de l’intérieur ! – toute la puissance d’un monde riche d’émotions, de sourires, de clins d’oeil, de plaisir, de sensualité et de joie s’exprimant uniquement par le geste corporel. Ici la voyelle est remplacée par le frétillement d’une main et la consonne par le déhanchement du bassin. De fait, nul besoin de savoir lire ou écrire, faut juste savoir vivre. Là, toute de suite. Temps après temps. Ensemble.

En deux mois, Sylvain a su nous faire entrer dans son monde, progressivement. Steppette après steppette, sans nous dire où et quand s’arrêterait cette ruade vers l’art, il nous a montré sans la nommer toute la force évocatrice du corps et du geste réunis. Ce flow d’énergie rythmique qui sans mot dire nous a fait découvrir des tableaux débridés regorgeant de cowboys, de mouches, de ninjas harakirieurs et de fantômes de John Travoltas, nous faisant vivre une incroyable épopée dont nous sommes devenus à notre propre surprise les involontaires héros!

Depuis deux jours, je réapprend à marcher. Mais en même temps, j’ai la curieuse impression que plus jamais je ne marcherai seul. Car au fond de mon corps sommeillent désormais un petit junior brown, un rigolo disco lanza, un lascif beat box et un énergisant techno qui me permettront d’être toujours un peu avec vous, braves et chers consoeurs et confrères de cette plongée au fond de nous même. Je m’ennuie de vous tous déjà.

Je m’ennuie aussi déjà des petits rappels amicaux de la gentille équipe de Sylvain, et de nos phares dans le désert qu’étaient Catherine et Nathalie.

Mais surtout, je m’ennuie d’un homme qui s’est fait tout petit derière nous, tout petit comme seuls les très grands savent le faire. Merci Sylvain de nous avoir permis de vivre ce moment unique. Merci aussi de ta patience extrême et du plaisir qu’on pouvait lire sur tes yeux à nous voir apprivoiser pas à pas, cette bête sauvage qui piaffait d’impatience à l’idée de nous voir la chevaucher d’un pas commun lors de cette magnifique soirée-bénéfice. Et merci surtout de nous avoir permis d’être les témoins privilégiés de ton immense talent en nous plaçant au coeur même de ton addictive folie, nous pauvres bipèdes amateurs qui chaque jour depuis, tentons de réapprendre à marcher. Seuls.

On t’aime.

p.s. et un ben gros merci à l’amie Lyne qui a donc bien fait de me rappeler que je m’étais porté volontaire pour la chose, un soir de bonne bouffe bien arrosé ;-)