« C’tu moé, mais…?!? »

J’ai remarqué qu’au fil des mois, cette expression retentit de plus souvent dans les confins de mon bureau/maison. 99.582 % du temps, elle est associée à une source d’impertinence relationnelle causée par le geste communicationnel, inintelligent, d’une marque à mon égard.

Et par impertinence, je ne parle pas autant d’un manque de respect ni d’impolitesse crasse (quoique…) que de l’aspect champ gauche de la communication qu’on veut m’administrer, de force. Car, derrière le mot impertinence, se cache le p’tit bout de latin pertinens : qui concerne.

Donc non concerné.

C’est précisément ce qui me chicote. De plus en plus, ou plutôt de pis en pis, la pub automatisée – ou plutôt mal automatisée – me concerne très rarement. Elle me consterne plutôt. Surtout qu’on serait en droit d’espérer qu’avec cet ajout massif d’algorithmes, de big data et d’intelligence artificielle, la pub nouvelle vienne avec une dose accrue de concordance, de cohérence et de synchronie avec la personne visée (vous aurez noté ici que je ne parle pas de cible, mais de personne).

Or, la plupart du temps, ces pubs n’ont aucun rapport avec moi. Sauf peut-être le fait de se frotter dangereusement, impertinemment, à ma réalité, mon vécu, en apparaissant sur mes fils de médias sociaux, dans mon courriel, voire dans mon courrier; des territoires qui M’appartiennent, alors que les annonceurs agissent en mode Owned.

Comme si le fait de me livrer un message « personnalisé », dopé aux filtres d’outils d’achats en ligne, de données acquises, de miettes de cookies devait être accompagné d’un gros verre de laid.

Là où le bât blesse, c’est que ces offensives publicitaires sont toutes sauf personnalisées. Oui, elles s’activent dans des environnements personnels et elles semblent se nourrir de données personnelles, mais au final, elles font pouêt-pouêt parce qu’elles n’ont pas rapport avec ma réalité.

Quelques exemples

Avant de devenir impertinent moi aussi, laissez-moi vous partager quelques exemples, bien réels, d’impertinence marketing dont j’ai été victime dans un passé pas si lointain.

Exemple 1 :  Tout baigne dans l’huile avec les posts sponsorisés?

Je débute volontairement ici par l’exemple le moins technoblâmable. Apparemment. J’y reviendrai, mais laissez-moi d’abord vous raconter la patente. L’autre jour, sur mon fil Facebook, je vois apparaitre un post sponsorisé : une simple offre d’emploi pour un poste de changeur d’huile dans un garage de Laval. Mais pourquoi diantre apparait-elle sur mon fil, me demandé-je?!? Je n’habite pas Laval. Je ne me cherche pas de boulot. Et surtout, mais surtout, je suis le contraire total d’un changeur d’huile. Mets-moi une queue de rat ou un couteau de chef entre les mains, je vais faire des miracles. Mets-moi plutôt une clé à molette et c’est la cata assurée. Demandez à ma blonde!

La question demeure : pourquoi ce post est-il apparu son mon fil?

La réponse la plus simple, vous l’aurez envisagée vous aussi, est probablement juste le fait que le dude ou la dudette qui a fait cet achat n’a tout simplement pas intégré les filtres de base de l’outil d’achats de pub Facebook, d’où une perte nette de pertinence (et d’efficacité, tabarouette!), en amont.

Un simple filtre de géolocalisation aurait déjà un peu aidé la cause, mais il est vrai que le défi des employeurs à la recherche de personnel les oblige à tracker plus large. Je leur concède celui-ci.

Mais l’acheteur de malheur aurait pu profiter des filtres d’intérêts de FB pour augmenter ses chances de pertinences, et donc de réussite. Donc, à première vue l’impertinence n’est pas autant la faute de la techno ici que du laxisme apparent de notre marketeur numérique en herbe.

Quoique ça ne m’étonnerait pas que l’algo lui-même de Facebook ait été pris à défaut. Combien d’incongruités publicitaires se retrouvent sur mon mur sous prétexte qu’elles viennent répondre à un de mes intérêts… Avez-vous déjà été visité la section relative à vos supposés intérêts sur Facebook récemment? Allez voir, je vous attends.

des intérêts sans intérêt, source d'impertinence | miron & cies

Pour la consommation éthique, la philantropie, la nourriture, l’orchestre, le reggae, voire Montréal, je veux bien. Pour le reste, pasrapp.com

L’algo a le sens de l’intérêt très large, non? Et ça se comprend. Quel avantage aurait FB à développer un outil de monitoring très pointu? Son avantage dans la transaction est bien plus de renflouer les coffres du roi Mark que d’améliorer le ROI de l’annonceur. Le marketeur critique pourrait rétorquer ici que FB a tout intérêt à être efficace, au risque de voir sa clientèle commerciale le délaisser pour un autre média plus performant. Et dans la vie, ça devrait être le cas.

Mais l’accessibilité à l’outil, son apparente capacité à filtrer les intérêts, le tableau de métriques, la facilité à payer et le coût pratiquement nul de création de pub semblent peser lourd dans la balance. Au final, c’est tout l’artifice entourant l’outil technologique qui remporte la palme, au détriment de l’efficacité publicitaire réelle. D’un côté, on fait croire à l’annonceur qu’il est de plus en plus pertinent alors que de l’autre, le consommateur se retrouve avec une bouète publicitaire de plus en plus impertinente.

Le net net de toute cette histoire, c’est qu’une pub pas rapport est apparue sur mon fil. Si elle avait été listée sur un site d’emplois, ça l’aurait passé comme du beurre. Le contexte jouant un rôle clé dans l’équation, la pertinence aurait été accrue.

Mais sur mon propre mur, ça ne passe pas. Ou plutôt, ça ne passe plus. Les annonceurs tardent à constater la dépersonnalisation des pubs qu’ils croient pourtant de plus en plus pertinentes, vu la programmatique, les achats ciblés, les miettes de données sucrées des cookies, etc.

Comme si les processeurs puissants nous libéraient de se poser les questions d’usage que tout marketeur digne de ce nom se pose (se posait?). D’un geste machinalement poncepilatien, on s’en lave les mains et on signe un chèque en blanc à Zuck et ses pairs, confiants que vu l’aspect apparemment hypertechno des outils d’autoachats publicitaires, on fait une bonne job.

Entendons-nous. Le fait qu’une pub de changeur d’huile se soit déposée sur mon mur n’est pas si grave que ça. Bottom line, ce n’est pas le mien que ça affecte; juste celui de l’annonceur qui tire sa pub au shotgun.

Le problème, c’est l’impact négatif, croissant, cumulatif, de pubs pas rapport qui se posent sur nos murs (donc chez nous). Une pub pas rapp, ça va. Deux pubs pas rapp, ouenye, ok; on donne la chance aux coureurs. Mais quand tu as le feeling que pratiquement TOUTES les pubs n’ont pas rapp, là y a un problème de fond m’sieurs/dames. Fond que l’on a touché depuis un moment déjà. Il est grand temps de rebondir, car le constat final est que mon mur est devenu un publisacre!

Exemple 2 : un hébergeur dérangé?

Chaque fois que j’ai un bogue avec un de mes sites, je me rends sur le site de mon hébergeur de sites pour tenter de résoudre le problème. Et vue la trâlée d’applications de tierce partie qui sont connectées à mon CMS, ça l’arrive assez régulièrement, merci.

Ici, le problème n’est pas la résolution des problèmes; je finis toujours par y arriver, quitte à chatter avec un aide en ligne. Il s’agit plutôt d’une méconnaissance crasse du remarketing et d’un laxisme criant quant à la scénarisation préalable des messages remarketés, selon les pages visitées, l’identité du visiteur lui-même et son historique.

Moi qui suis abonné avec eux depuis belle lurette, moi qui doit m’identifier chaque fois que je me rends sur mon tableau de bord, ben c’est typique. Après chaque visite sur le site, l’ensemble de mon écosystème numérique se met à déborder de pubs qui m’invitent à m’abonner aux services d’héberment de cet hébergeur!!! Sur le ouèbe, sur mon téléphone intelligent, sur mes fils de médias sociaux.

Qu’ils veuillent dilapider les sous qu’ils font avec moi, c’est leur problème. Mais la ridicule fréquence de l’offre publicitaire, jumelée à son impertinence, devient pour moi un facteur d’irritation publicitaire supplémentaire.

Encore une fois, isolé, cet exemple d’impertinence est relativement sans conséquence. À nouveau, on peut mettre ça sur le dos de la techno, même si c’est le marketeurus lazyus qui a juste été trop paresseux pour planifier des messages selon l’étape où est rendu son client dans son customer journey et les intégrer dans ses outils de programmatique. Comme la majorité des annonceurs, il s’est juste dit : ok, si un prospect vient sur mon site, je lui colle un cookie pi je vais pouvoir le suivre avec ma pub après. Sans même se demander si le message était pertinent.

Who cares anyway? Comme les inventaires sont infiniment grands et infiniment peu onéreux, y aura toujours quelqu’un pour cliquer sur une pub impertinente. Nous sommes à l’ère où on festoie plus au 0,024 % de taux de clic qu’à se questionner sur les occasions manquées de pertinence publicitaire auprès du 99.976 % restant. Sans compter l’érosion de l’image de marque, et donc, de sa valeur.

Exemple no. 3 : Comment courir après des ventes dans le sens contraire du vent

Voilà six mois environ, je vais sur le site d’un manufacturier de chaussure de sport réputé pour m’acheter une paire de souliers de course avec support de pronation accru. Aucun souci de Cx, tout roule bien, je reçois mes godasses au moment prévu.

Le mois dernier, je reçois par la poste une carte postale de la même entreprise. Yé, une stratégie de dévirtualisation de la relation! J’ai hâte de décortiquer la stratégie d’infunnelization. L’analyse dure pas long; rien dans l’offre n’est associé à ma réalité client, si ce n’est mon nom et mon adresse. Une simple offre pour une paire d’espadrilles pour femme et une seconde pour des running shoes de bout d’choux.

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Aucun rapport. Juste un coup d’épée dans l’eau. Comme en pub de masse, on prend une chance : le dude a des pieds, il doit habiter avec des gens qui en ont eux aussi.

Je comprends que l’entreprise n’a pas de données sur moi. Difficile de personnaliser une offre quand on ne connait pas sa cible, right? Ben pas vraiment. On peut y aller avec des hypothèses progressives. Sachant que je suis un nouveau client, sachant que j’ai acheté une paire assez haut de game, sachant que j’ai vraisemblablement des problèmes articulaires (pronation), on aurait pu se dire qu’il y avait là un beau potentiel de m’upseller. Ou sachant que la froide saison arrive, on aurait pu y aller avec une stratégie de X-selling en m’offrant par exemple un coupe-vent, un pantalon de course, des chaussettes plus chaudes, etc. L’ajout de codes cuillères m’aurait également permit de retourner sur le site, de tagger mes pages visitées et d’affiner encore plus le tir la prochaine fois.

Ben non. On a juste décidé que j’habitais avec une femme et des enfants. Et on a décidé de m’annoncer la nouvelle via une carte postale, comme si c’était ma meilleure amie qui m’écrivait de Santa Banana. Le pied, quoi!

Loin des yeux, loin du cœur

Bien que très différents entre eux, ces trois exemples d’impertinence publicitaires ont un point commun : ils témoignent de l’utilisation approximative d’outils technologiques fort puissants (ciblage publicitaire, remarketing, ouèbe2home), créant une disjonction entre le potentiel de personnalisation de la techno et la communication elle-même.

Il y a eu un shift dans l’industrie publicitaire. À un moment donné, le marketeur modernus a cessé de s’intéresser au contenu en fonction de sa capacité à l’aider à atteindre ses objectifs. Le contenant (aka la plateforme, la technologie x) a pris préséance sur le contenu. Le contenu, ni même le média, ne sont plus le message : les plateformes d’achats et autres DSP le sont devenus! Même McLuhan ne l’avait pas vu venir celle-là.

On n’en a que pour la donnée, immense ou menue, ainsi que pour les egoKPIs. Sans trop se pencher sur ce qu’ils nous disent. Ou plutôt, nous taisent.

 La règle du pas rapp 

J’ai noté une constante dans l’ensemble de ce marasme marketing d’impertinence automatisée. Plus la communication se dépose sur un plan intime, plus le risque d’impertinence va en augmentant. Je dis risque, mais disons-nous les vraies affaires : c’est pas autant un risque d’impertinence (celle-ci sera bien présente dans la majorité des cas, je vous gage un gros 10 $) que son niveau, réel ou perçu.

Gardons-nous une petite gêne. Au même titre où socialement, le « vous » de départ est le chemin obligé pour éventuellement accéder au « tu », les pubs doivent faire de même. Que l’impertinente faute retombe sur l’outil ou le marketeur, le consommateur n’en a rien à foutre. Mais il n’est pas dupe : cet impertinent « tutoiement publicitaire » lui prouve chaque fois que l’annonceur ne sait rien de rien sur lui. Une pub qui te regarde dans les yeux, mais qui semble s’adresser à une autre personne, non seulement ça ne vaut pas grand-chose, mais ultimement, elle coûte cher à l’annonceur. Pire. Par la généralisation croissante de ce type « d’approche », elle vient miner tout le territoire publicitaire. Les mauvaises pubs morpionnent celles qui le sont moins. Notre patience face à l’impertinence s’érode constamment.

Pour (re) devenir pertinent, les annonceurs n’ont d’autre choix que d’opter 1) pour une véritable pertinence, nourrie à la fois par la machine ET le marketeur ou 2) s’abstenir d’aller jouer sur des terrains publicitaires plus personnels avec des messages pseudopersonnalisés.

Mon pif, que j’ai gros, me dit que c’est l’option 1 qui va gagner. Dommage (dommages?) C’est déjà le cas depuis un bon moment, et rien n’augure un mouvement vers une meilleure intelligence relationnelle.

Avec l’accélération de la mouvance vers le volet « média » des médias sociaux au détriment de sa nature originellement « sociale », le numérique met en lumière l’impertinence accrue des pubs pas rapp. On se retrouve donc dans une situation où le consommateur, plutôt que de cliquer sur les pubs qui lui plaisent, clique sur les outils de désabonnement de pubs.

On reproche souvent aux trolls et autres vilains des médias sociaux de se cacher sous l’anonymat numérique pour mieux sévir. N’est-ce pas un peu ce que l’on fait quand on se fie à la techno pour livrer de l’impertinence de masse à nos prospects?

NOTE: ce point de vue n’engage en rien Postes Canada, mon nouvel employeur. Je l’ai écrit à titre personnel, sur une base entièrement volontaire, sans salaire ou honoraires. Il ne fait que s’inscrire dans la suite de mes réflexions sur notre joyeux monde de la communication marketing, partagées ici, dans des articles publiés ailleurs, dans mes conférences et sur mes médias sociaux.